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Isothiazoliquoi ?

Le Grand Méchant Loup va peut-être bientôt devoir partager le haut de l'affiche avec des "nouveaux venus" : les isothiazolinones. "Iso-thiazo-li-quoi ?" me demanderez-vous d'une voix perchée. Laissez-moi vous expliquer, en commençant par le pourquoi du comment...

 

France 5 : Gel douche, peaux sensibles s'abstenir 

Certain(e)s d'entre vous ont peut-être, comme mes proches, été scotché(e)s devant l'émission sur les gels douches, diffusée sur France 5 le dimanche 13 avril dernier. Et il y a de quoi. Car, hormis ses nombreux partis-pris et omissions (sur lesquels je ne m'étendrai pas ici, de peur de "m'enflammer", comme on dit), cette émission montre du doigt les gels douches de grandes surfaces. Et, accessoirement, les isothiazolinones. L'occasion pour moi de faire le point.

 

 

Les isothiazolinones : mais qu'est-ce donc ?

Une famille de biocides (substances qui tuent les micro-organismes, bactéries, etc.) très largement utilisés comme conservateurs dans diverses industries. On les retrouve en effet dans les pesticides agricoles, les lubrifiants et liquides de refroidissements utilisés en mécanique et en métallurgie, dans les peintures, laques, colles du BTP, dans les détergents et autres produits ménagers, les encres d'imprimerie... et les cosmétiques.

Dans ces derniers, ce sont la méthylisothiazolinone (MI) et la méthylchloroisothiazolinone (MCI) que l'on retrouve. 

Methylisothiazolinone-3D-balls.png                                                   Methylchloroisothiazolinone-3D-balls.png

              2-méthyl-4-isothiazolin-3-one (MI)             5-chloro-2-méthyl-4-isothiazolin-3-one (MCI)

 

Ces deux composés sont listés à l'Annexe VI de la Directive Européenne 76/768/CEE depuis le milieu des années 1980(1) ! Ils y font en effet leur apparition comme mélange MCI+MI (en rapport 3:1) en 1986. Comment se fait-il, alors, que vous n'en entendiez parler que maintenant ? Les parabens. Oui, on y revient ! En effet, l'association MCI+MI a été largement employée dans les années 1980-1990. Mais, réputée allergisante, elle a peu à peu été délaissée au fil des ans au profit des parabens, bien mieux tolérés et plus performants en tant que conservateurs. Et vous voyez où je veux en venir. Face au procès d'intention mené contre les parabens dès 2004, les industriels n'ont (pas toujours) eu d'autre choix que de reformuler leurs cosmétiques. Un véritable casse-tête pour les formulateurs : imaginez que vous deviez refaire le plat préféré de votre famille avec des ingrédients différents, sans que le goût, la texture, etc. ne changent ? ET, bien sûr, sans augmenter le coût de la recette... 

Or les parabens ont un très bon rapport efficacité/prix, sont faciles à formuler et, rappelons-le, bien tolérés (c'est-à-dire non irritants ni sensibilisants pour la peau) ! Ce qui explique que près des 3/4 des cosmétiques aient été formulés avec ces conservateurs pendant plus de 20 ans. Pour protéger les formules sans parabens, et sans trop modifier ce que l'on appelle le "coût-formule", les industriels se sont donc de nouveau tournés vers les isothiazolinones. Notamment pour les produits de grande consommation (ceux que l'on trouve en grande surface), pour lesquels le prix est un critère d'achat majeur. Hasard ou coïncidence, la MI seule a fait son apparition à l'Annexe VI de la Directive cosmétique en 2005...

 

Le "boom" des allergies aux isothiazolinones

Depuis 2005, donc, l'emploi de la MI seule est autorisée dans les cosmétiques à 100 ppm (partie par million), soit 0,01%. C'est-à-dire une concentration presque 10 fois supérieure à celle autorisée pour le mélange MCI+MI ! Choix de dosage qui peut s'expliquer par le fait que la MI est moins allergisante que la MCI. Mais qui augmente d'autant l'exposition de la population générale à cet allergène de contact (qui cause des allergies quand il entre en contact avec la peau ou les muqueuses). D'autant que cette autorisation ne limite pas l'utilisation aux produits rincés. La MI s'est donc retrouvée dans de plus en plus de produits non-rincés tels que des crèmes pour le corps ou le visage, les ligettes, ets. Augmentant par là même le nombre de dermatites de contact, auparavant "réservées" aux professionnels manipulant les produits contenant MI et/ou MCI (peintres, personnes se lavant fréquemment les mains...). 

Michael Dyrgaard Lundov, PhD & Chercheur au Vidcenter for Allergi, Danemark

Un constat qu'a fait Michael Dyrgaard Lundovchercheur au Centre national Danois de recherche sur l'allergie (Videncenter for Allergi). Ses équipes et lui ont mené deux études de marché, en 2010 puis en 2013, au Danemark : "en 2010, 1,3% des cosmétiques contenaient de la MI, contre 3,3% deux ans plus tard. Alors que l'emploi d'autres conservateurs (parabens et phénoxyéthanol) ne semble pas avoir changé". Qui plus est, les patients sensibilisés (dont la peau fait des réactions) à la MI peuvent aussi réagir à l'association MCI+MI dans d'autres cosmétiques. Augmentant d'autant le nombre de cas d'allergies de contact. C'est l'effet boule de neige observé par les dermatologues et relayé dans les médias. 

 

 

Les autorités réagissent...

Le SCCS (Comité Scientifique de la Commission Européenne sur la Sécurité des Consommateurs(2)) a les isothiazolinones dans le collimateur depuis le début. Ce qui l'a conduit à émettre, en 2009, une opinion concernant le mélange MCI/MI. Opinion stipulant que, dans un rapport 3:1, le MCI/MI "ne présente pas de risque pour la santé du consommateur lorsqu'il est utilisé comme  agent conservateur jusqu'à une concentration maximale autorisée de 0,0015 % dans les produits cosmétiques à rincer, indépendamment de son potentiel de sensibilisation". Cette opinion répondait en effet à une question restreignant le champ d'investigation aux produits à rincer. Car, allergisant reconnu, le mélange MCI+MI est généralement réservé aux shampoings,  savons liquides, etc. À noter cependant, la précaution du SCCS face au potentiel du MCI/MI à causer des allergies (la première étape d'un phénomène allergique est celle de la sensibilisation). 

Commission EuropéenneLequel SCCS a, en 2013, émis une nouvelle opinion, cette fois concernant la MI seule. Opinion qui dit clairement que, dans les produits non-rincés, la MI peut causer des dermatites de contact. Et que, à 15 ppm (0,0015%) dans les produits rincés, elle peut "révéler" l'allergie (phase d'élicitation, qui vient après la phase de sensibilisation)(3). Le rapport va d'ailleurs plus loin, insistant sur la nécessité d'investiguer de plus près la sensibilisation à la MI, le taux de MI aujourd'hui présent dans les cosmétiques, et de déterminer l'exposition réelle des consommateurs à la MI à travers les autres produits en contenant (détergents, peintures...). Le problème, selon Michael Lundov, est que "comme les sources d'exposition à la MI et à la MCI sont nombreuses, il est presque impossible de déterminer quels niveaux d'exposition causent une dermatite de contact à la MI seule ou à la MCI seule". Il ajoute  d'ailleurs que "la réglementation devrait également évoluer pour que les produits industriels non-cosmétiques comportent un étiquetage approprié, afin que les consommateurs puissent éviter la méthylisothiazolinone s'ils le souhaitent". Mesure envisagée dans le rapport du SCCS (qui se base notamment sur les travaux du Dr Lundov)(4)

Des conclusions reprises par la Commission Européenne, qui a proposé, en septembre dernier, de modifier l'annexe V du Règlement"afin de limiter l’utilisation du mélange de méthylchloroisothiazolinone et méthylisothiazolinone aux produits à rincer et d’indiquer clairement que l’utilisation du mélange et celle du méthylisothiazolinone seule sont incompatibles, car le rapport 3:1 du mélange en serait affecté". Amendement qui semble en bonne voie d'être adopté, à en croire le brouillon de réglementation découvert au cours de mes recherches...

 

...oui, mais

Ce premier pas vers une suppression des isothiazolinones dans les cosmétiques est une bonne chose. En effet, l'intégration au Règlement obligera les industriels à se plier à la règle, limitant ainsi l'explosion de cette "épidémie" (terme utilisé par Rachel Urwin et Mark Wilkinson dans cet article). Cependant, une fois l'amendement entré en vigueur, les industriels auront encore 18 mois pour retirer leurs produits du marché. Et cela ne règle que le problème du mélange MCI+MI, qui est, a priori, le moindre des deux maux... 

C'est pourquoi, fin 2013, Cosmetics Europe (ex-Colipa, l'association européenne de la cosmétique) recommandait aux industriels de ne pas attendre, et de cesser immédiatement de formuler leurs cosmétiques non-rincés, lingettes incluses, avec de la MI. Michael Lundov pense, lui, qu'il "faudrait supprimer totalement l'utilisation de MI et MCI, même si cela risque d'être compliqué". Une affaire à suivre, donc...

 

Capucine Martin-Phipps

 

Je sais, je sais, je vous avais donné rendez-vous la semaine passée... que je n'ai pas pu honorer, "immergée" que j'étais dans les allées scientifiques du net pour vous trouver les infos les plus pointues. J'espère que cet article vous a plu, et alimentera vos discussion de  longs week-ends de Mai, entre rosé et barbecue !

 

(1) Pour mémoire, la Directive Européenne 76/768/CEE était la réglementation en vigueur pour les cosmétiques jusqu'au 11 juillet 2013. L'Annexe VI, "énumérant les substances admises dans la fabrication des produits cosmétiques comme agents conservateurs", a été rajoutée à la Directive en 1982. La MCI et la MI sont aujourd'hui listées à l'Annexe V du Règlement Européen, et donc admis dans les cosmétiques aux concentrations maximales suivantes : 0,01% pour la MI seule, et 0,0015% pour le mélange MCI:MI dans un rapport 3:1.          retour article
(2) En cosmétique, le rôle du SCCS est d'analyser en profondeur les données scientifiques disponibles sur un sujet, la plupart du temps à la suite d'une requête. Il émet ensuite une opinion par rapport à cette requête, qui joue un rôle important dans les décisions réglementaires prises par la Commission Européenne.          retour article
(3) " Les données cliniques actuelles indiquent que la dose de 100 ppm de MI dans les cosmétiques n'est pas sûre pour le consommateur. Pour les produits non-rincés ("lingettes" incluses), aucune concentration sûre de MI n'a pu être démontrée pour l'induction ou l'élicitation d'une allergie de contact. Pour les produits rincés, une concentration de 15 ppm (0,0015%) de MI est considérée sûre pour le consommateur concernant l'induction d'une allergie de contact. Cependant, aucune information n'est disponible concernant l'élicitation".   retour article
(4) "Consumers cannot find information on the presence of MI in products except in cosmetics and household detergents because, as yet, there is no harmonised classification of MI as a skin sensitizer. The risk for skin sensitisation by MI is at least equivalent to that of other substances which have received a harmonised classification according to the CLP Regulation."            retour article

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28/04/2014
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